La solitude : Un fléau mal connu !
Alors que des associations honoraient la Journée des Solitudes dans des pays francophones le 23 janvier dernier, d’autres pays s’apprêtent à le faire le 11 juin prochain. Aux États-Unis, elle est connue comme la journée nationale « Cheer Up The Lonely Day », une journée symbolique qui vise à sensibiliser le public aux effets néfastes de la solitude. Cette journée est célébrée tous les ans et d’autres pays ont commencé à l’observer à leur manière. Ce jour-là, les gens sont censés prendre un peu de temps sur leur emploi du temps, souvent trop chargé, pour apporter du bonheur à ceux qui se sentent seuls ou délaissés.
Depuis l’Antiquité, la dépression et la solitude ont été observées, vécues et décrites par diverses personnes. Les Grecs et les Romains le faisait déjà il y a plusieurs siècles. À travers le temps, les idées sur la solitude ont évolué – en grande partie au XXe siècle – au point de faire de la dépression et la solitude des sujets tabous. De nos jours, le terme « santé mentale » est plus d’actualité.
Souvent invisible, la solitude peut toucher des personnes de tous âges et de tous horizons. Elle peut être temporaire pour certains, tandis que pour d’autres, elle peut être un état perpétuel. C’est l’association Astrée, en France, qui a lancé la Journée mondiale des Solitudes - officiellement sacrée le 23 janvier 2018. L’objectif rejoint celui des États-Unis - « Cheer Up The Lonely Day » -, c’est-à-dire sensibiliser par rapport à la réalité de ce problème de société, et y apporter un éclairage nouveau. « Pour les personnes qui en souffrent, c’est une double peine, une douleur d’autant plus profonde qu’elle est indicible et inaudible », explique l’association.
Sortir de l’isolement
Ultimement, l’idée est de créer un élan de solidarité et de donner la chance aux personnes concernées de sortir de l’isolement. Certains pays ont compris, depuis un moment, que la solitude était devenue un phénomène de société, pour ne pas dire un fléau qui gagne du terrain et qui a tendance à étendre ses tentacules en direction des aînés. Dans des pays comme le Japon, un ministère de la Solitude a même été créé en raison des taux de natalité, qui ont commencé à chuter, alors que les problèmes de santé mentale montaient en flèche.
27% des personnes âgées sont seules
Le phénomène n’épargne, en fait, aucun pays. En France, il touche quelque 5 millions de personnes. « Le phénomène s’est surtout aggravé chez les plus âgées », indique une enquête de la Fondation de France. L’organisme de soutien aux personnes vulnérables souligne également l‘existence d’une solitude chez les personnes ayant un handicap ou une maladie chronique. Dans son étude publiée en 2018 sur la solitude dans l’Hexagone, la fondation note que 12% de la population dite « âgée » est isolée, contre 9% concernant la population générale ; 32% se sentent seuls, contre 22% de la population générale, et 8 sur 10 personnes âgées en souffrent.
Ce qui inquiète le plus l’organisme de mécénat qui soutient des initiatives en direction des Français isolés, c’est l’explosion de la solitude chez les plus de 75 ans. 35% des personnes âgées sont seules (contre 16 % en 2010). Les première causes de l’isolement: le décès du conjoint, la perte d’autonomie et l’éloignement des enfants. L’absence de statistiques et d’études à Maurice ne nous permet pas de faire une analyse profonde de la situation. Toujours est-il que les témoignages recueillis et les cas dont nous en sommes témoins, nous font penser que nos aînés y sont tout aussi exposés, si ce n’est qu’ils nagent déjà dans les méandres de la solitude.
Il y a plusieurs explications à cette progression. L’une d’entre elles : la longévité de nos aînés. Elle ne pèse pas seulement sur les systèmes de pension comme l’on raconte tous les jours dans les médias, mais elle comporte également des effets « colatéraux ». « Les réseaux de soins étant plus efficaces, de plus en plus de gens vieillissent et sont proportionnellement de plus en plus seuls », fait ressortir une étude au Canada.
Le poids d’une société « ogresque »
Plus surprenant, selon un article d’AFP sur la question, le lien intergénérationnel s’effrite. Ils sont 41%, en France, à avoir peu ou pas de contacts avec leurs propres enfants, contre 38% en 2010. Génération d’ingrats ? Pas pour l’auteur du document contre l’isolement des personnes âgées, Vincent Lapierre, qui attribue davantage ce délitement des relations familiales au fait que nous vivons dans une société « ogresque ». Et il l’explique en des termes clairs et réalistes : « tout va vite, les enfants vivent dans une société où il faut toujours être plus performant afin de garder son travail. Pour eux, les parents sont largués et ne comprennent pas ce qu’ils vivent. Ce décalage les pousse à délaisser la famille, au profit de la sphère professionnelle et amicale, plus valorisante à leurs yeux.»
Ces chiffres, qui n’arrêtent pas de progresser, ne sont pas sans inquiéter les professionnels de santé à travers le monde. « Le sentiment d’isolement a un lien avec le passage à l’acte », rappelle Vincent Lapierre, redoutant ainsi une progression du nombre de suicides : « avec l’âge et la manière dont nos sociétés évoluent, certains de nos aînés sont murés dans le silence. Pas par choix. Mais parce que les liens familiaux s’effritent ou n’existent plus. Chaque jour qui passe, ils se retrouvent alors sans échange, sans partage et sans affection… »
Si la médecine a apporté un gain de longévité substantiel aux populations, ceci n’est pas près de s’arrêter, estiment les professionnels de santé. Ils concluent, ainsi, que « la société ne s’est pas organisée afin d’associer de la qualité à cette quantité de vie gagnée ». Ce qui confirme, en d’autres termes, que la lutte contre la solitude des personnes âgées reste un des grands défis à relever pour l’avenir.
LE JAPON, SEUL PAYS À AVOIR UN MINISTÈRE DE LA SOLITUDE
Au pays du soleil levant, c’est un vrai problème, une inquiétude publique et politique au point de pousser le gouvernement de créer un Ministère de la Solitude, en février 2021. La création d’un tel ministère, unique au monde, pourrait faire rire. Mais la solitude au Japon est telle que cela a engendré de sérieux problèmes de santé mentale, couplés de répercussions très graves. Le pays a connu une hausse marquée et alarmante des suicides ces dernières années. Selon les médias nationaux, le suicide a même été plus meurtrier que la Covid-19.
RS 2,500 L’HEURE POUR JOUER LA COMÉDIE !
Pour rompre l’isolement, un Japonais qui se sent seul peut se tourner vers l’une des agences de location d’amis pour « louer » quelqu’un auquel il peut se confier, aller au restaurant ou faire une promenade. Le prix : Rs 2,500 l’heure. Le concept est même poussé à l’extrême dans certains cas. Les employés sollicités sont formés comme des acteurs capables d’incarner une grande variété de rôles, à l’instar du faux petit ami ! Pour pousser le bouchon plus loin, certaines agences proposent des personnes capables de pleurer ensemble avec « vous », c’est-à-dire être aux côtés des particuliers qui auraient des larmes à verser, mais aucune épaule sur laquelle s’appuyer pour le faire.
«Lutter contre la solitude, c’est prévenir l’exclusion, la pauvreté et la perte d’autonomie », relève Jean-François Serres en introduction du Rapport Contre l’isolement des seniors, « c’est aussi une barrière contre la transmission des mémoires et la passation des valeurs. » Pour lutter contre cet abandon social de certains anciens, le rapport préconise la constitution d’équipes citoyennes pour agir contre la solitude et l’isolement des personnes âgées dans leur quartier, ville ou village.
LA SOLITUDE FAIT MAL, AU CŒUR ET AU CORPS
« Il s’agit même d’un problème de santé publique », insiste l’économiste Béatrice d’Hombres, chercheuse au Centre commun de recherche de la Commission européenne. « Les gens qui souffrent de solitude sont plus sujets à la dépression. Ils adoptent davantage des comportements à risque comme l’alcoolisme, le tabagisme ou la sédentarité, et sont plus sujets aux maladies cardiovasculaires », fait-elle remarquer.
Selon différentes études, la solitude augmente de 26 % le risque de décès prématuré, de 29 % celui de développer une maladie coronarienne, de 32 % celui de subir un accident vasculaire cérébral et de 40 % celui de connaître une forme de démence. Elle agit aussi et toujours comme un accélérateur de perte d’autonomie.